LES ANNEES 2013 – 2023 VERS UNE NOUVELLE SCÈNE FRANÇAISE Par Marie Sallantin (critique)

La Peinture au Sommet de Ma Joie, Marie Sallantin




Au cours de la période récente, soit une vingtaine d’années se dessine progressivement une nouvelle scène française . 

Tout d’abord de quelle scène française parle-t-on car il y en a deux : celle de l’art vivant et celle du patrimoine

Il est question ici de la scène française de l’art vivant . Elle se dédouble entre une scène visible , la scène officielle et une scène invisible dont l’histoire est « underground ». Notons que cette dernière n’est pas encore connue car elle n’est même pas recherchée. C’est une terra incognita d’autant que les salons qui permettaient jadis un vaste tour d’horizon ont de moins en moins le soutien de l’Etat : soit ils ont  disparu (Salon de Mai , Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui ) soit ils ont été compressés (Le salon Art Capital regroupe 4 salons) soit ils ont rétréci considérablement ( Mac 2000-Macparis) ou se sont figés (salon Réalités Nouvelles). 

L’abandon et le désintérêt vont de concert pour fabriquer l’exclusion . On devrait pourtant se méfier de ce dédoublement de la scène française entre les oubliés et les médaillés et sur lequel l’administration de la culture ferme les yeux, car l’ambiance a changé du tout au tout depuis que l’art financier l’emporte.

LA RÉALITÉ D’UN ECHEC 

La scène française officielle, celle que l’on gâte depuis plus de quarante ans, n’arrive pas en effet à s’imposer sur la scène mondiale. Pas assez financière ?

L’échec de ses propres artistes  ( les conceptuels et autres artistes dits engagés ), se confirme dans les tableaux et statistiques. Mauvais signe que ce déclassement après avoir misé tant d’argent et clamé que la France offrait un modèle à suivre ! Car une catastrophe se profile qui mettrait au grand jour une incompétence systémique de son Etat Culturel quelque peu arrogant et amnésique. Qui ignore aujourd’hui que ce  sont les peintres non reconnus  de leur vivant qui attirent les foules , pas les officiels?

AU DOUTE SUCCÈDE L’INQUIÉTUDE

Au doute succède l’inquiétude car les oubliettes pourraient accueillir plus vite que prévu cet art financier qu’un film suédois « Square » palme d’or à Cannes a ridiculisé définitivement . Pourquoi miser encore de l’argent public ? Que faire ?

Si MONUMENTA ( le Grand Palais pour UN SEUL artiste !! ) est abandonné sous le prétexte de travaux, des initiatives privées avec une technologie numérique de pointe connaissent un  succès populaire certain comme  « L’Atelier des Lumières » créé il y a 10 ans par la fondation Culturespaces et principalement  tournée vers les jeunes : 7000 enfants participent chaque année au programme « Art en immersion » en partenariat avec le Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports; Dans ce programme, les peintres célèbres et morts sont favorisés :  Van Gogh en 2019, Monet, Renoir , Chagall en 2020 et en 2023 Pau Klee. Le public vient, les places s’arrachent. Où sont passés nos conceptuels et engagés , nos voitures brûlées, nos tas de bonbons, de chiffons, de foin et autres matériaux ?

Et puis il y a des initiatives privées qui fleurissent et qui modifient elles aussi le contexte de l’art vivant. Hector Olbak présente un show efficace et populaire  sur l’histoire de la peinture en deux heures. D’autres exposent la peinture vivante dans des appartements/galeries comme au bon vieux temps, mais en lien avec les réseaux. Les installations sont laissées aux FRACS  et CENTRES D’ART CONTEMPORAIN tandis que les problèmes insurmontables de conservation et de stockage sont pour le CNAP. Cela sent la poussière…

L’État paiera-t-il encore ?.

UN CHANGEMENT S’IMPOSE, LE RETOUR DE LA PEINTURE FRANÇAISE

Si le balancier revient enfin vers des peintres encore en vie après tant d’expositions sans eux,  ce n’est pas parce que le goût de la peinture figurative refait surface mais parce que c’est devenu incontournable. Les peintres Martial Raysse  (mai-septembre 2014) et Gérard Garouste (septembre 2022-janvier 2023) ont une exposition rétrospective  au Centre Pompidou. Ce rare privilège avait été accordé en 2004 par le Centre Pompidou à une seule peintre française, Aurélie Nemours (juin-septembre 2004) à la fin de sa vie. Elle meurt le 27 janvier 2005. 

Le retour de la peinture figurative sur la scène française contemporaine s’accompagne d’expositions historiques au Musée d’art Moderne (MAM) qui, comme souligné dans « Années Noires de la peinture » (1) a longtemps travaillé ouvertement pour l’exclusion des peintres français. Veut-on vider  les musées ?

LE PATRIMOINE DE PARIS : UN MARIAGE ARRANGÉ

Aujourd’hui , l’art financier n’a plus très bonne presse et redéfinir la scène française c’est aussi sauver ceux qui ont beaucoup  misé sur cet art international .

Et c’est là que la carte du patrimoine intervient en force. Les courtisans s’empressent auprès des politiques. Quels intérêts servent-ils ? Des intérêts privés? L’intérêt public? Tout se mélange et va très vite. 

Le patrimoine est soigné à Paris « ville musée », première destination mondiale pour le tourisme, elle est la mieux placée pour servir d’écrin à l’art contemporain international  et aux grandes marques du luxe . New York symbolise le trop d’argent, les circuits opaques et la spéculation. Paris est la ville de l’Art , New York est celle de la Finance, même Koons , l’artiste star ex trader, a vieilli. Il pourrait devenir son mauvais génie , son oeuvre est trop vulgaire pour être de l’art et finit par lasser.

 Cette chance d’avoir Paris comme carte joker doit être saisie à pleines mains et même s’il faut laisser  davantage de place à la scène française , par ex soigner aussi la peinture historique avec le retour de galeries auparavant écartées, montrer à nouveau des peintres de l’Ecole de Paris, c’est finalement gagnant pour tous de revenir à une conception moins sulfureuse de l’art . Ce mariage arrangé entre l’Art Contemporain, le luxe et le patrimoine est un bon calcul qui mobilise de nouveaux talents et un savoir faire.

UN TERRITOIRE PUBLIC PRIS EN OTAGE ?

Le fil est gardé serré avec des événements à Versailles, au Louvre. Musées et Palais , hôtels de prestige sont restaurés, de grands magasins aussi .

Le Grand Palais : La foire de Bâle prend  le Grand Palais à la FIAC

Le Musée Picasso invite des artistes contemporains 2021-2022  

L’hôtel de la Monnaie, La Conciergerie , le Palais de Tokyo, l’esplanade du Musée d’Art Moderne font l’objet de tentatives parfois réussies parfois non.

François Pinault est à la bourse du Commerce, Bernard Arnault à La Samaritaine non loin du Centre Pompidou ni du Louvre.

Un parcours « Yves Saint Laurent aux Musées » est proposé dans plusieurs lieux, l’art est croisé avec la haute couture. Un designer est choisi pour présenter une exposition Picasso au musée qui porte son nom. La fashion week s’installe le 6 mars au musée d’Orsay lors d’ un défilé Louis Vuittton , collection hiver 2023.

Que le centre de Paris serve l’alliance du luxe et de l’art au point de confondre les deux est l’objectif. Pourquoi le déplorer ? Cela embellit Paris. Le nouveau quartier des Halles  élargit son attrait. On embrasse et félicite une scène française , la nouvelle mariée trop belle … pour mieux l’étouffer ? Cela ressemble à une marche forcée sans débat ni consultation.

Nous attendons l’ouverture fin mars 2023 de La foire ARTPARIS  qui met en avant «  le retour après l’exil de la scène française de l’art ». Ce sera une scène vivante , engagée comme on a l’habitude, nous dit-on dans sa communication. Fort bien!  Mais c’est un ex directeur de FRAC qui la présente, c’est à dire  son versant officiel. Alors ! De quel « retour d’exil », de quelles « résistances » s’agit-il si la création vivante française marche encore à la baguette ?

A suivre….

MARIE SALLANTIN, PEINTRE

(1) 1983-2013 ANNÉES NOIRES DE LA PEINTURE, Aude de Kerros, Marie Sallantin, Pierre-Marie Ziegler , éditions Pierre Guillaume De Roux

1983-2013 Années noires de la peinture : Une mise à mort bureaucratique ?

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