L’accueil. Huile sur toile, 60 x 80 cm, 2021. Barbara NAVI

BEAUTY I’VE ALWAYS MISSED
Du 21 octobre 2022 au 21 janvier 2023
Vernissage : Jeudi 20 octobre à partir de 18h30
La beauté a quelques fois traversé nos vies comme un orage soudain. Il nous a semblé alors que les mots du langage se montraient impuissants à restituer entièrement ce que notre âme ressentait, que l’intensité de cette expérience ne s’acclimatait point aux usages et syntagmes ordinaires de la langue. Cette incise dans le phrasé du monde était pourtant suffisamment puissante pour que nous nous sentions requis d’en témoigner. Mais comment ? L’éclat fugace de l’apparition et son immédiate révocation donnaient déjà à
cette rencontre des airs de rendez-vous manqué.
Beauty I’ve Always Missed est une exclamation résumant l’extrême précarité de cette vision qui a alors ébloui notre existence.
Barbara Navi en a puisé la formule dans la chanson Nights in White Satins (The Moody Blues, 1967) dont les stances nostalgiques célèbrent un amour d’antan. Paradoxale formule qui combine le regret mélancolique d’une perte et l’éloge incantatoire qui ranime et soutient l’existence de la beauté disparue. De quoi est-elle alors la mystérieuse invocation ? Du désir d’abord dont l’étymologie latine rappelle qu’il renvoie à l’expérience des augures et des marins scrutant le ciel à l’affût des étoiles. Ne dit-on pas que tout désir est la nostalgie de l’étoile qui manque ? Dans desiderare, c’est sidus qui émerge en premier, vocable qui a donné le mot sidération en français. Desiderare : être en proie à la sidération devant l’emplacement de ce qui n’existe qu’à manquer.
Que la beauté soit une figure de l’absence, nombreux sont les mythes et les poèmes qui en posent l’insolite axiome, à commencer par celui dont Pline l’ancien nous a légué le récit à travers l’histoire de la fille du potier Butadès.
L’art peut-il se soutenir de la nostalgie des étoiles, tenir le cap de l’absence sans verser dans une conjuration magique ? A ces questions, l’exposition proposée par la peintre semble répondre par l’affirmative, à condition de comprendre que l’affleurement de l’étrange est alors une incidence possible de ce choix poétique.
Un postulat implicite de l’exposition Beauty I’ve Always Missed est qu’il existe un lien de parenté obscure entre la beauté et l’étrangeté, que ce lien a intimement partie liée avec la puissance sidérante de l’absence. Ce leitmotiv constant traverse et nourrit l’œuvre pictural que poursuit Barbara Navi depuis une vingtaine d’années. Il semble aussi avoir présidé à la sélection des œuvres de ses amis artistes qui prendront part à l’exposition.
Dans les Notes nouvelles sur Edgar Poe, Baudelaire écrivait : « L’étrangeté est le condiment nécessaire de toute beauté. » Son aphorisme pourrait servir d’incipit à l’exposition Beauty I’ve Always Missed.
Corine BORGNET · Damien CADIO · Nicolas DARROT
Mathieu DUFOIS · Karine HOFFMAN · Léa Le BRICOMTE
Éric MANIGAUD · Filip MIRAZOVIC · Abel PRADALIÉ
Barbara Navi : une œuvre en rhizomes
Vous qui, aujourd’hui, découvrez les toiles de Barbara Navi, acceptez de pénétrer dans un espace-temps indéfini, prêtez-vous à cette lecture d’un récit dans lequel les repères vous échapperont peut-être parfois. C’est la condition nécessaire pour appréhender le cheminement d’une artiste qui, loin de chercher à vous perdre, veut au contraire vous entraîner dans un univers inexploré dans lequel peinture et pensée n’en finissent pas de s’entremêler.
« Une germination qui attend son heure »
Faut-il parler de narration ? Oui mais pas une narration linéaire, continue. Nous devons aborder une peinture dans laquelle le récit prend les voies d’une circulation souterraine, révélatrice d’une pensée en rhizomes. « »Mes tableaux, nous dit Barbara Navi, naissent d’un processus de « formation par reprises, repentirs, corrections successives » dont parle Valéry. Rien n’est défini à l’avance. Je procède par l’association de divers matériaux iconographiques, des dessins, des films, des photos qui proviennent du flux Internet ou sont issues de mes propres recherches. » Cette « Germination qui attend son heure » nous renvoie à Gilles Deleuze et Félix Gattari pour qui « Le rhizome est une antigénéalogie. C’est une mémoire courte ou une antimémoire. Le rhizome procède par variations,
expansion, conquête, capture, piqûre. » Ce qui est en question dans le rhizome, expliquent les deux philosophes, c’est un rapport avec la sexualité, mais aussi avec l’animal, avec le végétal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l’artifice, tout différent du rapport arborescent : toutes sortes de “devenirs”. Nous y sommes. Barbara Navi, si elle met en place des dispositifs narratifs, ne s’astreint pas à une
structure verticale contraignante. Ses assemblages s’élaborent à même la matière visuelle, à travers la vie imaginée et ébauchée de ses personnages. Sa peinture traduit cet échappement de l’organisation formelle rigide, ce désengagement des formes préétablies pour mieux explorer les voies opportunément ouvertes par cette pensée en rhizomes.
Une figuration en rémanence
La figuration elle-même, au fil des séries, se dilue, se disperse, les formes semblent pousser d’elles-mêmes sans organisation rigide, prévue, colonisent l’espace du tableau sans hiérarchie. Une notion de rémanence apparaît dans les formes comme la trace de ces instants passés et toujours présents. L’artiste joue sur cette conjugaison improbable du temps où passé, présent, futur, futur antérieur
entretiennent le doute sur ce que nous voyons. Cette image rémanente est, par définition, à la fois passée et présente. « Dans mes tableaux, explique Barbara Navi le présent de narration restitue une trame nostalgique du passé et le futur antérieur a du mal à donner sa clé de compréhension. » L’artiste fait avancer sa peinture au gré de ce temps suspendu, où passé et futur tissent dans sa toile
un moment incertain.
Puis, après avoir intégré ces notions, oubliez-les ! Laissez-vous porter par ce que met sous vos yeux Barbara Navi : elle nous parle des hommes et des femmes, de l’histoire, de l’art. Elle nous révèle ses doutes, ses craintes, ses espoirs. L’espoir, décrit comme « La croyance modeste de cette série de tableaux », constitue donc la trame de cette nouvelle production. Cette trame entremêle histoire, culture, religion, mythologie, passé, présent, futur. L’artiste évoque « L’éloquence muette » de la peinture (Merleau-Ponty). Est-elle vraiment muette ? Une musique me semble s’élever de chaque tableau comme pour mieux nous associer à cette émotion générée par la peinture. Barbara Navi a travaillé en écoutant Monteverdi et Fauré. Dans sa précédente exposition, j’entendais, pour ma
part, Gustave Mahler émaner d’ « Anabase ».
Dans cette œuvre un autre espoir se révèle : la peinture, après des millénaires, relie toujours les hommes et les femmes à travers un langage que Barbara Navi renouvelle avec une sensibilité qui nous touche.
Claude Guibert, Critique d’art et journaliste

Centre d’Art Contemporain
àcentmètresducentredumonde
3, avenue de Grande Bretagne,
66000 PERPIGNAN
www.acentmetresducentredumonde.com
Tarif normal : 5 euros
Tarif réduit : 3 euros
Gratuit pour les moins de 18 ans
Horaires d’ouverture :
Du mardi au vendredi de 15h à 19h
Samedi de 11h à 19h
Dimanche et lundi fermé